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1848 : Cam, départ à la plantation

« La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriétés cachées que le hasard fait découvrir. »
de François de La Rochefoucauld [+]
Extrait du Maximes

Ce jour, Marie Emilia s’agitait, courait en tous sens, cueillant ici un peigne, là un mouchoir, ailleurs un châle.

Le temps des vacances était enfin venu, et elle partait chez son oncle et sa tante dans la plantation du nord de l’ile, au bord de la mer. Dans un moment Louis le cocher, ayant fini de préparer l’attelage, la ferait quérir pour la conduire.

Dans la berceuse1 sa mère gémissait,  « cette fille me tuera », elle répétait cela à longueur de jour, depuis qu’elle était née. Elle attendait un garçon, elle n’avait pas prévu de prénom pour une fille. Son mari était absent « comme toujours dans les moments difficiles » elle demanda à la sage-femme de présenter le bébé à l’officier d’état civil et machinalement, de lui donner le prénom de Marie Emilie comme sa sœur. L’officier d’état civil proposa Marie Emilia.

Ensuite, le bébé fut confié à la servante noire Camille, la « Da », que dans son ouvrage sur la vie aux Antilles,   Madame Liliane Chauleau2 décrit ainsi :

    « Résidant à demeure, chez ses patrons qu’elle ne     souhaite pas quitter, la « Da » se consacre, de     toute son âme aux soins à donner aux enfants, les     baigne, les nourrit, les habille, les promène. A la     longue, elle finit par faire, pour ainsi dire, partie     de la famille. »

Cam pour Marie Emilia, était sa seconde mère. Cette fois Cam ne venait pas avec elle, sa mère l’avait décidé ainsi : « Marie Emilia est bien assez grande » et Camille allait s’occuper des deux sœurs cadettes d’ Emilia.

A propos de Cam, pas question de partir sans lui faire ses adieux, Marie Emilia s’en alla la chercher, se jeter dans ses bras, lui dire combien cette séparation lui coûtait… mais aussi, combien elle était heureuse de retrouver sa cousine. Cam la connaissait comme si c’était sa propre fille, au premier virage elle ne penserait plus qu’aux vacances, et la petite larme au coin de l’œil serait vite séchée.

Cam avait sauvé la vie de Monsieur, le père de Marie Emilia. Elle n’avait pas d’enfant, elle aimait Marie Emilia comme elle aurait aimé ses enfants, d’ailleurs,   quand le père de Monsieur l’avait affranchie, pas un instant elle n’avait songé à quitter la famille.

Cet affranchissement elle le devait à sa connaissance de la vertu des plantes, le jeune homme était tombé gravement malade, une fièvre inconnue du médecin, le brave homme désolé d’avouer son impuissance,  préparait la famille à un dénouement fatal. Cam avait demandé la permission de lui faire boire une de ses préparations secrètes. En désespoir de cause le médecin acquiesça. Huit jours après le jeune homme, remontait en selle et Cam était affranchie.

Ces connaissances, Cam les tenait d’une vieille africaine, un peu sorcière, enfin c’est la réputation qui lui était faite, on disait qu’elle faisait le commerce avec le diable, qu’elle préparait des filtres d’amour, mais aussi des poisons… D’autres disaient qu’elle se transformait en Zombi3 la nuit ! Rien de tout cela n’était prouvé, mais ces histoires suffisaient à la faire craindre. Cam n’était pas effrayée, elle était fascinée par le pouvoir des plantes, petit à petit la vieille l’avait initiée. Cam se tenait à l’écart de ces histoires de poisons et filtres de toutes ces diableries… elle avait bien assez à faire pour soigner tous ces pauvres gens malades, usés par le dur labeur qui leur était imposé par leurs maîtres, et surtout par les contremaîtres noirs, toujours le fouet à la main.

Quand il fut décidé que la plantation serait confiée à son beau frère et que l’aîné, suivant son goût, ferait des études afin d’exercer un bon métier dans l’administration de la marine et des colonies, Cam n’a pas hésité à demander à le suivre comme domestique. Ce nouveau statut lui laissait plus de temps libre pour poursuivre ses études sur les plantes, mais elle avait eu un sentiment de culpabilité d’abandonner les siens.

Combien elle regrettait de ne savoir ni lire ni écrire, elle sentait à quel point cela lui manquait, il devait bien y avoir des livres qui traitaient de cette science, que de choses, elle aurait pu y découvrir.

Aussi, quand le père de Marie Emilia, avait dit que celle-ci irait à la rentrée dans le prestigieux couvent de Versailles, dirigé par les dames de Saint-Joseph4 à Basse Terre, Cam s’était sentie gonflée d’orgueil. C’est à Marie Emilia qu’elle transmettrait son savoir, elle ne doutait pas des capacités de l’enfant. Volontaire, un brin capricieuse, elle dégageait malgré son jeune âge une sorte de maturité adossée à une intelligence, des facultés d’observation et de mémorisation exceptionnelles. Marie Emilia tenait de son père, l’aînée des filles souffrait du paludisme, sa scolarisation était difficile, les deux cadettes tenaient de la maman : geignardes et lymphatiques.

Cam sursauta et lâcha le carreau5 quand Louis le cocher appela Marie Emilia, plongée dans ses réflexions, elle n’avait pas vu le temps passer, exécutant machinalement sa tâche de repassage. Mais où donc était passée l’enfant ? La voix de Marie Emilia la rassura, et bientôt le départ fut annoncé par les sabots du cheval sur les pavés de la cour.

De nouveau Cam se mit à réfléchir, ces vacances l’inquiétaient vaguement. Depuis la révolte des esclaves à Marie Galante, il devenait de plus en plus difficile de diriger les esclaves dans les grandes plantations. Il se trouvait toujours quelques meneurs pour souffler sur les braises. Les punitions corporelles devenues rares n’avaient plus la même justification, elles suscitaient la révolte, le désir de vengeance. Quand elle était esclave, Cam se souvenait que la crainte l’emportait.

Heureusement, on disait que tout cela allait bientôt finir, qu’en Métropole un certain Monsieur Schœlcher préparait une loi abolissant une deuxième fois l’esclavage. Mais le solide bon sens de Cam lui faisait se poser des questions. Comment les noirs allaient vivre ? On n’allait pas déposséder les blancs de leurs terres ! Qui allait travailler la canne ? Cam pensait que les choses risquaient de mal tourner et au bout du compte elle appréhendait l’avenir immédiat.


















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