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1848 : abolition de l’esclavage, vacances chez la Marraine

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" Etre libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. "
Nelson Mandela 

C’est le 27 Mai 1848 que fût proclamée l’abolition de l’esclavage à la Guadeloupe. La promesse de l’indemnisation avait apaisé les colons. Les esclaves dans un premier temps ont laissé éclater leur joie, mais surtout leur émotion.

La marraine de Marie Emilia, était propriétaire d’une  plantation de café aux Vieux Habitants. Importante au 17° siècle, elle s’étendait depuis les flancs du volcan en altitude, jusqu’à l’anse à la Barque, au bout de la ravine Renoir qui porte le nom de la famille. Depuis le début du siècle la demande en café n’avait cessé de diminuer et les zones de plantation étaient progressivement laissées à l’abandon.

 La culture du café est moins pénible que la culture de la canne. A part au moment de la récolte des cerises,10 elle demande aussi moins de main d’œuvre.  Les esclaves avaient progressivement été vendus. Devenue veuve avec un grand fils, elle gérait du mieux qu’elle pouvait  et elle faisait appel plus volontiers à des engagés11 au moment de la récolte. Les esclaves qui restaient, étaient depuis longtemps dans la famille, souvent la deuxième voire la troisième génération, ils étaient domestiques, et travaillaient aussi sur la plantation suivant les besoins, au moment de la récolte adultes et enfants cueillaient.

. Elle racontait 12comment elle avait préparé et vécu ce jour là :
«  Je les ai rassemblés, je leur ai lu le décret en Français, puis je leur ai expliqué en créole que c’était comme les enfants quand il deviennent majeurs, ce décret leur accordait des droits, mais qu’ils avaient du coup des devoirs et des responsabilités. Ce jour était un grand jour pour eux, et  ils avaient le droit de faire la fête : ils ne travaillaient pas ce jour. Je ne les ai pas vu pendant 3 jours, quand ils ont fini leurs maigres réserves de rhum et d’argent ils sont revenus me voir. Je leur ai alors dit : si vous voulez continuer à travailler pour moi, c’est possible, nous nous connaissons depuis longtemps et nous formons une sorte de famille. Je vous paierai pour votre travail, suivant des critères qui vont bientôt être définis, vous ne serez plus nourris ni soignés, mais vous pourrez continuer à loger dans les cases de la plantation, dans ce cas je vous retiendrai le prix du loyer qui sera défini au cas par cas comme le salaire. Ceux qui souhaitent me quitter le peuvent, mais il devront se trouver des cases.»

Ils sont restés, ils n’étaient pas encore prêts à assumer la liberté, et l’avenir leur paraissait incertain. Trois jeunes célibataires sont partis vivre leur vie.

La marraine de Marie Emilia accepta de la prendre pendant les vacances à condition que Cam s’occupe d’elle, la plantation ne lui laissait pas de temps pour surveiller une enfant de onze ans.

L’habitation était située sur les hauteurs, à la limite de la forêt vierge, l’air y était plus frais, cela ferait une sorte de changement d’air pour Marie Emilia bien que les Vieux Habitants se trouvent à une faible distance de Basse Terre.

La maison était en bois sur un seul niveau, elle était posée sur un socle en pierre de lave, qui épousait la pente de la montagne. L’accès était parfois difficile en saison des pluies.

Outre le salon et la salle à manger, séparés par une cloison et deux portes à clair-voie en bois sculpté, elle comprenait un petit bureau bibliothèque et quatre chambres avec 2 cabinets, la cuisine et le bâtiment des domestiques étaient un peu à l’écart en contrebas de la terrasse à laquelle les domestiques accédaient par un petit escalier. Sous la terrasse il y avait une sorte de cave, où étaient entreposées des réserves et qui pouvait servir d’abri en cas de cyclone.

Une prise d’eau en amont sur la rivière assurait l’alimentation en eau courante de la maison ainsi qu’un petit bassin dans la « case des eaux » pour les ablutions des maitres.  Sa conception était ancienne, elle avait été reconstruite après un cyclone dévastateur dans les années 1780 et agrandie, c’était une des premières maisons aux Vieux Habitants, mais elle avait un charme fou, la terrasse dominait la mer, vers l’anse à la Barque, un grand bras de mer qui pénétrait sur 1 kilomètre environ à l’intérieur des terres. C’était un abri idéal pour les barques de pêcheur, et ils étaient nombreux à venir y poser l’ancre.

Et puis il y avait les bruits de la forêt proche, certains soirs c’était presque assourdissant, Marie Emilia avait du mal à s’endormir, Cam décidait alors de lui faire boire une infusion.

Les plantations de caféiers s’étageaient ensuite en altitude, le village des anciens esclaves, et les bâtiments d’exploitation occupaient le bas de la pente, vers la mer.


La marraine n’exigea aucun travail de Cam, elles disposaient ainsi de beaucoup de temps pour aller en forêt. Cam était à son affaire, inventoriant toutes les plantes rencontrées, elle dessinait les plantes sur un cahier, elle demandait à Marie Emilia de noter soigneusement ses indications, où se trouvait la plante, quelles plantes poussaient autour, la nature du terrain… Marie Emilia était très fière d’être associée à ce travail de Cam, elle se sentait utile, elle se sentait devenir une grande personne, elle travaillait avec beaucoup de sérieux. Elle pensait qu’à la fin de vacances elle monterait ce travail à son père et qu’il serait fier d’elle.

Chaque jour, elles allaient un peu plus loin et c’est ainsi qu’elles découvrirent un endroit magnifique, avec une petite cascade,13 et une vasque où il était possible de se baigner.

A début Cam était réticente, elle ne savait pas nager, et craignait pour l’enfant. Marie Emilia finit par la convaincre qu’il n’y avait pas de danger pour elle. C’était merveilleux de plonger dans cette eau fraiche après cette longue marche.

Elles arrivèrent juste avant la tombée de la nuit, la marraine d’Emilia, fit une remarque sèche à Cam. C’est alors qu’Emilia lui montra le cahier, et parla de la cascade. La qualité du travail surprit sa marraine, elle s’y intéressa longuement, posant des questions, s’étonnant de l’intérêt d’une enfant si jeune sur ce sujet. Elle finit par féliciter Cam pour ce travail, et il fut convenu que les jours où elles montaient à la cascade elles emmèneraient un panier repas. La marraine promit même de les accompagner une fois !

Elle tint promesse, et ce fut une journée inoubliable pour Emilia et Cam, un grand moment de complicité entre les deux femmes et l’enfant. Elle y était montée souvent avec son mari, quand ils étaient jeunes. Ils se baignaient nus dans cet endroit magique. A cette évocation, les larmes lui montèrent aux yeux, elle pris conscience que depuis son veuvage, elle ne prenait plus le temps de penser aux jours heureux et insouciants qu’elle avait connus, crispée qu’elle était sur un présent difficile auquel elle n’était pas préparée. Marie Emilia lui sauta au cou l’embrassa, « que t’arrive-t-il Marraine ? » elle répondit «  les moments de bonheur aussi font pleurer ».

La montée se fit assez rapidement. Cam avait déjà dégagé le chemin à grand coup de coupe-coupe. La première fois, elle avait pris soin d’explorer la végétation à l’affût de la moindre découverte. Cette fois, elle s’arrêtait, montrait la plante rare, identifiait les cousinages entre les plantes, faisait de la botanique de façon empirique, car elle ignorait le nom des plantes et de leur famille. Par assimilation elle devinait les vertus possibles, se promettant de les expérimenter. Comme Monsieur Jourdain, elle pratiquait la théorie des signatures131
 sans le savoir.

Marie Emilia et sa Marraine prirent un bain en arrivant, elles jouèrent dans l’eau en s’éclaboussant, et sa Marraine découvrait cette petite fille attachante. Elle découvrait aussi combien la relation avec une fille était différente de la relation qu’elle avait avec son fils. Elle avait  une sorte de regret de n’avoir pas eu aussi une fille.

Pendant ce temps Cam avait aménagé un endroit pour le repas. Elle avait préparé ce repas froid, avec ses recettes secrètes. La Marraine un peu méfiante découvrit des saveurs singulières. Cam interrogée donnait des explications. Ensuite elle raconta comment lui était venue cette passion, les histoires de la vieille Africaine.

Sur le chemin du retour Marie Emilia se mit à chanter. Les deux femmes l’écoutaient en silence, subjuguées par cette voix encore enfantine, très pure, qui s’élevait au dessus des bruits de la forêt tropicale. Un chœur d’oiseaux se mit à l’accompagner, et les deux femmes avaient le sentiment de vivre un moment de beauté absolue.

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